Nantes-Pornic 2012 – 2013
Cette série "Nantes-Pornic" a été réalisée dans le cadre de la recherche "Péri-ville invisible", en 2012 et 2013, associé aux laboratoires LAUA de l'ENSA de Nantes et LATCH de l'ENSAP de Lille.
Les attendus de cette recherche initiée par le PUCA[1] ont été pour moi l’occasion de prolonger les expérimentations photographiques engagées de longue date dans la périphérie parisienne, en particulier à travers les séries "Périphérie" et "Instantané"[2].
"Périphérie", qui fait coexister dans l’image une multitude de signes et qui restitue la complexité des situations en faisant l’expérience du réel comme matière. Vitrifié dans son processus d’écoulement, le réel est à la fois passé, présent et futur anticipé dans un montage de temps hétérogène. Ces images issues de la nature même du médium photographique par leur essence descriptive favorisent la réification d'un réel qui nous est à la fois étranger et familier, vision simple, sans condition particulière, qui évite toute surdétermination et impose d’aller au-delà des apparences premières.
Ces images, qui renvoient aux lieux qui nous sont familiers mais que l’on a perdu l’habitude d’observer, aux "objets" que l’on connaît sans même les avoir jamais vu, favorisent les tensions entre le familier et l’inconnu pour construire une photographie énigmatique presque inquiétante, à force de proposer à voir rien de plus que son sujet. Telle cette citation qui pourrait parfaitement s'appliquer à cette photographie : " Il y a longtemps qu'on sait que le rôle de la philosophie n'est pas de découvrir ce qui est caché mais de rendre visible ce qui est précisément visible, c'est à dire de faire apparaître ce qui est proche, ce qui est immédiat, ce qui est intimement lié à nous même qu'à cause de cela nous ne percevons pas."[3]
"Instantané" qui tente de répondre aux sollicitations du territoire, pas dans le sens où l'entendait Henri Cartier-Bresson pour l'instant décisif, mais dans le sens de la reproduction d'une image qui s'impose à mon regard, de la production d'une image littérale d'un objet fixe, copie fidèle d'une image qui me prééxiste. Comme quand Robert Smithson traversant la rivière de Paissac sous le soleil de midi, transformant le pont et la rivière en image surexposée avait le sentiment de photographier une photographie[4]. Où encore Marcel Proust pénétrant dans le salon où sa grand mère était endormie, avait l'impression d'être dans une photographie[5].
Le thème du périurbain peut-il contribuer à un renouvellement des cadres d’analyse de l’urbain contemporain ?
Pour répondre à cet axe de recherche, nous[6] avons posé les hypothéses suivantes : interroger les outils de captation, d’analyse et de restitution d’activités qui se déploient en des espaces d’abord caractérisés comme relevant de l’urbanisation diffuse.
C’est bien dans le cadre d’approches documentaires que nous nous situons, ces regards que nous mobilisons cherchent à fabriquer des processus de production de connaissance sur ces territoires, en dehors ou plutôt, en amont de tout modèle, en repartant des pratiques mêmes des usagers et de l'observation par l'arpentage, la "battue urbaine", la photographie…
Nos hypothèses méthodologiques sont donc de garder une motivation principale qui est celle de la description avec la finalité de renouveler le regard et le dénominateur commun des objets retenus est la nécessité d’être guidés pour explorer. Différents types d’objets sont repérés, les modalités d’un urbanisme descriptif sont testées. Les espaces, supports des investigations, se situent principalement dans la région nantaise où réside une moitié des chercheurs impliqués.
Nous ne souhaitions pas partir d'un type de territoire de prédilection mais plutôt identifier des situations génériques, nous nous sommes concentrés sur les différents savoir-faire, tous producteurs de descriptions et de narrations : le chercheur en sciences sociales, le concepteur urbain et le photographe[7].
La ligne de tram-train Nantes-Pornic m'a imposé son itinéraire. Parce qu'elle relie Nantes à la mer en traversant les communes de la première couronne de la métropole, des villages ruraux de plus en plus modifiés par les signes de métropolisation et les villages balnéaires le long de la côte. Elle constitue une coupe représentative de ce passage de l’urbain au périphérique. Les dix gares du parcours sont les sites de prises de vue. Restait à arrêter chaque périmètre de travail, que je ne voulais pas tracer de manière arbitraire. C'est l'usage que j'ai fait du territoire qui en a fixé les limites. Celle-ci apparaissaient très clairement et dessinaient de manière évidente le paysage de la gare. Seule la série Sainte-Pazanne compte un certain nombre d'images réalisées dans un lotissement en construction, probablement favorisé par l'arrivée du tram-train, le long des voies à la sortie de la ville. Le nombre de photographies de chaque série s'est imposé par l'importance des sites : quatorze pour Rezé Pont-Rousseau, six pour Pornic ou encore dix pour Bougneuf-en-Retz… Comme pour toutes mes séries j'utilise une focale normale à hauteur du regard, pour favoriser une vision ordinaire qui s'attache aux détails à l'inverse des visions surplombantes et générales de la photographie aérienne.
Deux objets sont prévus pour la diffusion de ce travail. Le premier, dans le prolongement de la volonté de réduire mes choix au maximum, est une boite comprenant dix enveloppes (une par gare et par série, donc) dans lesquelles se repartissent les cent quatorze photographies produites le long de la ligne. Ainsi les images ne sont pas reliées, le spectateur compose les séries à sa guise, aucune narration n'est imposée. Le second, adapté au rendu de notre recherche, accompagne les "récits ambulatoires" d'Elisabeth Pasquier et le travail depuis le bord des voies de Laurent Devisme. Il s’agit cette fois d’un livret relié où les images sont composées par séries et donc par gares. Ici la reliure des pages assure la continuité et permet de jouer des rectos versos et des vis-à-vis qu'offrent les doubles pages.
Tout au long de la ligne je cherchais les images les plus significatives des phénomènes de métropolisation. Ma quête se portrait donc vers les images les plus ordinaires de ces territoires devenus de plus en plus homogènes. Ce qui retenait mon attention, ce n'était pas la gare elle même mais les phénomènes liés à celle ci, les effets de l'arrivée du train sur cet environnement. J'ai tenté de représenter ces espaces ordinaires en me concentrant sur l'épaisseur naturelle des choses, afin d'éviter toute échappée dans une représentation poétique du merveilleux de la vie quotidienne, sans association inconsciente même si ce qui motive le choix de cette photographie plutôt qu'une autre reste mystérieux. L'image n'est pas composée, elle s'impose comme un tout, comme une évidence. Elle s'impose par la force de sa généralité, au risque d'un certain formalisme.
EP 01/2014
[1] « Du périurbain à l’urbain », 2011, Plan – Urbanisme – Construction – Architecture
[2] www.emmanuelpinard.com
[3] Michel Foucault "La philosophie analytique de la politique", conférence donnée le 27/04/1978
[4] Robert Smithson "Tour des monuments de Passaic", 1967
[5] Brassaï "Marcel Proust sous l'emprise de la photographie", Gallimard 1997
[6] François Andrieux, Arnaud Bertolotti, Anne Bossé, Laurent Devisme (coord.), Guillaume Ertaud Bénédicte Grosjean, Myriam Héaulmé, Elisabeth Pasquier, Emmanuel Pinard.
[7] Réponse à l'appel d'offres de recherche, novembre 2011