Marseille, E.Lapierre
Emmanuel Pinard à Marseille Éric Lapierre, janvier 2003.
“ Rien n’est plus poétique que toutes les transitions, tous les mélanges hétérogènes. ” Novalis, Fragments
En 2001, l’établissement public Euroméditerranée initiait, en partenariat avec le Ministère de la Culture et de la Communication et la Ville de Marseille, une commande photographique destinée à rendre compte des mutations du territoire dont il a la charge. Le secteur concerné, situé au nord du Vieux port, représente une superficie de 300 hectares dont le réaménagement est prétexte à repenser toute la relation que Marseille entretient avec son port. Emmanuel Pinard photographie généralement la substance urbaine des périphéries métropolitaines : le grand espace ouvert, qualifié par les seuls usages dont il est le support, et dénué de toute ambition symbolique. On a coutume d’opposer ce type d’environnement – considéré comme étant dénué de valeur, et chaotique – à l’espace urbain traditionnel du centre – regardé, au contraire, comme porteur de valeurs d’ordre, de hiérarchie et, symboliquement, de représentation de la communauté. Chacune des images produites par Emmanuel Pinard dans le cadre de la commande Euroméditerranée est comme une goutte d’acide déposée sur le vieux consensus de la supériorité du centre sur la périphérie : elle le dissout et donne à voir, en-dessous, l’image d’une ville dans laquelle les éléments d’échelle métropolitaine, tels que les viaducs autoroutiers ou les installations portuaires, cohabitent avec évidence et légèreté avec les éléments d’échelle locale et quotidienne. Dans cet environnement hétérogène, les buvettes s’abritent à l’ombre des piles d’autoroutes, une végétation à demi sauvage s’immisce entre les constructions, les bateaux blancs, plus grands que les bâtiments des quais, font la navette entre les deux rives de la Méditerranée, au-delà de la Digue du Large. La Digue du Large, à partir de laquelle Emmanuel Pinard a photographié la façade de Marseille sous la forme d’un fascinant polyptique de sept pièces et de plus de 8 mètres de long, installation monumentale, à l’image de ce front de mer portuaire et urbain, et qui oblige le spectateur désireux de voir l’ensemble à reproduire le mouvement du photographe marchant sur la digue. Digue du Large d’où, se retournant vers la mer, Emmanuel Pinard a photographié l’horizon, comme il l’a si souvent fait dans ses paysages périphériques. Cet horizon marin n’est pas une simple ligne séparant le ciel de la mer : il est comme incurvé – et, par là même construit – par la présence, à chacune de ses extrémité, de lambeaux de terres émergées. Au premier plan, des blocs de béton signifient l’artificialité de ce paysage habité et, en conséquence, sa dimension culturelle. Un horizon construit, un premier plan de matière, et un propos sur le
territoire photographié : là comme à Chelles, à Créteil, à Montesson ou à Brasilia, un même regard, une même capacité d’analyse et un même mystère, pour dire que la photographie documentaire est un engagement artistique qui se situe bien au-delà de l’objectivité.